Tout au long de ce Carême 2022 et jusqu’à Pâques, retrouvez les méditations proposées par notre sœur Françoise.
D’après Prier 15 jours avec Christian de Chergé, par Christian Salenson
Et si nous parlions de la croix ? me demandait récemment l’un de nos amis soufis.
L’ami soufi avait dit : peut-être trois ? Cette troisième croix, n’était-ce pas moi, n’était-ce pas lui, dans cet effort qui nous portait, l’un et l’autre, à nous démarquer de la croix de derrière, celle du mal et du péché, pour adhérer à celle de devant, celle de l’amour vainqueur.
Christian de Chergé
Devant
L’homme a été créé en forme de croix. Aussi l’homme ouvre-t-il les bras. Le jeune enfant se précipite et trouve refuge dans les bras ouverts de son père ou de sa mère. Homme et femme se prennent dans les bras l’un de l’autre. Rien de tel que les bras ouverts pour être à l’image et à la ressemblance du Père ! Dieu a créé l’homme en forme de croix, inscrivant en son corps sa vocation, corps ouvert aux dimensions de l’univers et de l’accueil de l’autre.
Mais la croix de devant est fragile. L’homme a vite fait de se replier. Craintif ou menacé par la peur de perdre son bonheur, l’homme court le risque de refermer les bras.
La croix de devant, c’est l’homme créé bras ouverts en acceptant de ne pas posséder ceux qu’il aime.
Derrière
La croix de derrière est une invention des hommes. Elle consiste à prendre la croix de devant et à l’enchaîner brutalement au bois. Jésus n’était qu’amour et liberté, accueillant bras ouverts ceux qu’il rencontrait. Il a été cloué au bois par les chefs religieux et le pouvoir politique.
Le baiser de trahison, tel une lance, a ouvert son côté. Les reniements de ses proches ont tressé la couronne d’épines. La croix de derrière fut celle de l’amour trahi.
Chacun fait l’expérience de la croix de derrière. Il est des hommes qui vivent des drames inqualifiables, victimes innocentes, corps torturés, méprisés, tués…
De manière moins criante, chacun peut être crucifié à l’endroit où il aime.
Si l’homme qui ouvre les bras prend la ressemblance de Dieu, Dieu, en son fils crucifié prend la ressemblance des hommes, de ceux qui ont pris le risque de l’amour et qui en souffrent.
Cette deuxième croix ne sauve pas ! Point n’est besoin de la justifier, et par là même de blasphémer ! Elle est la souffrance que le monde sans Dieu impose à Dieu disait le théologien Dietrich Bonhoeffer, mort en camp de concentration.
Les crucifix de la période moderne présentent des Christ tourmentés. Ils expriment la souffrance bien réelle de notre humanité. Ils risquent cependant de voiler la troisième croix. Les Christ romans n’étaient pas défigurés, offrant au contraire un visage serein, rayonnant la paix. Ils nous initient à un autre aspect de la croix, celle entrevue par l’ami musulman : celle où la souffrance y est déjà transfigurée par l’amour.
Peut-être trois…
Dans la troisième croix s’accomplit le salut. En quoi consiste cette troisième croix ? Elle consiste à ouvrir les bras ou à réapprendre à ouvrir les bras, précisément là où la vie nous blesse. La tendance spontanée consiste à se refermer, à se replier sur soi, sur sa solitude ou sa souffrance. C’est bien naturel et compréhensible ! Le risque est grand de s’aigrir, de se dessécher, de fuir… Pourtant, un autre chemin est possible, ouvert par la croix du Christ.
Chemin de croix
Alors commence pour chacun un chemin de croix où passant de la croix de derrière, celle de la souffrance infligée, à la croix de devant, l’amour encore offert, il va apprendre encore et toujours à dénouer les bras…
La troisième croix ressemble à s’y méprendre à la croix de devant. Apparemment rien n’a changé ! La personne est à nouveau capable d’ouvrir les bras, sauf qu’elle les ouvre en traversant la blessure. Souffrance transfigurée… chemin de résurrection et de vie nouvelle !
Christian Salenson
Frères et sœur nous savons bien que ce passage de l’une à l’autre croix, c’est bien là notre chemin de croix et aussi notre chemin de gloire, car c’est par là que Jésus nous élève, avec lui, vers le Père qui nous attend tous, bras ouverts.
Christian de Chergé