Méditation pour le temps de l’Avent proposée par Timothée de Rauglaudre
Dans l’Évangile du jour, Jésus invite ses disciples, et par extension nous invite, à veiller. Il insiste : «restez éveillés», «veillez», «veillez donc», «veillez», car nul ne sait quand viendra le maître. L’invitation est d’abord eschatologique : la venue du maître, c’est la parousie, la venue du Christ dans la fin des temps. La mention précédant ce passage, dans l’Évangile de Marc, des persécutions et des guerres qui préfigureront la venue du Fils de l’homme, ne laisse guère place au doute.
Mais le temps eschatologique ne peut être réduit à un temps chronologique qui marquera la fin de l’histoire, laissant les chrétiens à la seule prière dans cette attente. La fin des temps, ce n’est pas que l’achèvement du temps, c’est aussi l’accomplissement des temps. Le Christ est celui qui vient, au présent, qui nous a prévenus qu’il serait avec nous à jamais, dès aujourd’hui. Son royaume se bâtit ici et maintenant, pierre par pierre, un chantier long et discret qui ne sera terminé qu’à la fin des temps. La parousie, en grec, c’est la présence. Le bon pape Jean nous enjoignait à guetter les «signes des temps» à plisser les yeux pour mieux voir les avancées du chantier du royaume, la présence permanente du Christ.
Alors à quoi, à qui faut-il veiller ? La philosophe Simone Weil accorde à la capacité d’attention, une notion proche de celle d’éveil, une valeur supérieure, divine. À travers ses écrits, on trouve des exemples de situations où l’attention se trouve sublimée : la prière, le travail manuel et la défense des pauvres et des opprimés. Cette dernière situation est annoncée explicitement par Jésus dans l’Évangile de Matthieu : au Jugement dernier, seront récompensés ceux qui auront servi les affamés, les prisonniers, les malades, car sans le savoir, ils auront servi le Christ.
Il est intéressant de noter que celles et ceux qui critiquent le «wokisme», en désignant la lutte contre les diverses injustices, le comparent régulièrement aux mouvements protestants de réveil, en soulignant la parenté linguistique. Si la comparaison se veut péjorative, on peut la prendre à contresens. Le restez éveillés de Jésus pourrait se traduire en anglais par «stay woke».
La figure du veilleur est récurrente dans la Bible. La prophétie d’Isaïe demande : «Veilleur, où en est la nuit ?» Les psaumes parlent du veilleur qui guette l’aurore. Dans l’Évangile de Marc, au chapitre suivant, le Christ commençant à entrer dans sa Passion demande à ses disciples de veiller – sans grand succès. L’exégèse chrétienne voit dans le veilleur lui-même une image du Christ. Marcher à la suite de l’Agneau, c’est aussi veiller sur la part de lumière du monde, être lumière face aux ténèbres de l’injustice. Le veilleur réconcilie dans le geste d’attention la prière et l’action au service du royaume.
Timothée de Rauglaudre,
Journaliste et auteur