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Archive de l’étiquette Avent

4e dimanche de l’Avent 2024

Une méditation sélectionnée par notre frère Pierre.

D’où m’est-il donné que la mère de mon Seigneur vienne jusqu’à moi ? Luc 1, 43

Toi qui m’a tant enrichie, mon Dieu, permets-moi aussi de donner à pleines mains. Ma vie s’est muée en un dialogue ininterrompu avec toi, mon Dieu, un long dialogue. Quand je me tiens dans un coin du camp, les pieds plantés dans la terre, les yeux levés vers ton ciel, j’ai parfois le visage inondé de larmes – unique exutoire de mon émotion intérieure et de ma gratitude. Le soir aussi, lorsque couchée dans mon lit, je me recueille en Toi, mon Dieu, des larmes de gratitude m’inonde parfois le visage et c’est cela, ma prière à moi.
Je suis très fatiguée depuis quelques jours mais cela passera comme le reste : tout progresse selon un rythme profond propre à chacun de nous et l’on devrait apprendre aux gens à écouter et respecter ce rythme ; c’est ce qu’un être humain peut apprendre de plus important en cette vie.
Je ne lutte pas avec Toi, mon Dieu, ma vie n’est qu’un long dialogue avec Toi. Il se peut que je ne devienne jamais la grande artiste que je voudrais être, car je suis trop bien abritée en Toi mon Dieu. Je voudrais parfois tracer à la pointe sèche de petits aphorismes et de petites histoires vibrantes d’émotion, mais le premier mot qui me vient à l’esprit, toujours le même, c’est : Dieu, et il contient tout et rend tout le reste inutile. Et toute mon énergie créatrice se convertit en dialogues intérieurs avec Toi ; la houle de mon cœur s’est faite plus large depuis que je suis ici, plus animée et plus paisible à la fois, et j’ai le sentiment que ma richesse intérieure s’accroît sans cesse.
18 août 1943, Les écrits d’Etty Hillesum, Journaux et lettres 1941-1943 (page 897).

C’est la toute dernière lettre d’Etty, écrite quelques jours avant son départ pour Auschwitz le 6 septembre 1943 (elle disparaîtra trois mois plus tard). Consciente du destin qui l’attend, Etty s’attache à regarder toujours plus loin et plus large pour voir ce qui pourrait advenir de beau. Elle demande à Dieu « de la prendre par la main » et s’engage « à le suivre bravement et sans beaucoup de résistance ». Etty se dispose ainsi à accueillir au mieux celles et ceux qu’elle rencontre, vivant au plus près le « sacrement du frère » qui donne sens à l’existence. Le jour de son départ en déportation, un de ses amis écrit : « Nous éprouvons un sentiment de perte, mais nous ne nous sentons pas les mains vides. Une amitié comme la sienne ne se perd pas ». Tout est dit.

Pierre,
frère de la Communion Béthanie

3e dimanche de l’Avent 2024

Une méditation sélectionnée par notre frère Pierre.

Je vais t’aider, mon Dieu

Frères, soyez toujours dans la joie du Seigneur ; je le redis : soyez dans la joie. Que votre bienveillance soit connue de tous les hommes. Le Seigneur est proche. Ne soyez inquiets de rien, mais en toute circonstance, priez et suppliez, tout en rendant grâce, pour faire connaître à Dieu vos demandes. Et la paix de Dieu, qui dépasse tout ce qu’on peut concevoir, gardera vos cœurs et vos pensées dans le Christ Jésus.
De l’apôtre Paul aux Philippiens 4, 4-7

C’est sans doute la plus belle (en tout cas la plus célèbre) prière d’Etty Hillesum, une prière bien dans la tradition juive. « Du Dieu de l’intériorité » au Dieu « incapable de modifier le cours des choses », non plus un Dieu que nous sollicitons pour quémander de l’aide mais un Dieu que nous pouvons aider. Pourquoi ? Afin de ne pas le laisser mourir en nous, ce qui révèle la grande crainte d’Etty. Elle liait étroitement relation à Dieu et amour du prochain. Sa préoccupation fait écho à cette parole attribuée à Thérèse d’Avila « Christ n’a pas de mains. Il n’a que nos mains pour faire son travail aujourd’hui ».

Je vais t’aider, mon Dieu, à ne pas t’éteindre en moi, mais je ne puis rien garantir d’avance. Une chose cependant m’apparaît de plus en plus claire : ce n’est pas toi qui peux nous aider, mais nous qui pouvons t’aider – et, ce faisant, nous nous aidons nous-mêmes. C’est tout ce qu’il nous est possible de sauver en cette époque et c’est aussi la seule chose qui compte : un peu de toi en nous, mon Dieu. Peut-être pourrons-nous aussi contribuer à te mettre au jour dans les cœurs martyrisés des autres. Oui, mon Dieu, tu sembles peu capable de modifier une situation finalement indissociable de cette vie. Je ne t’en demande pas compte, c’est à toi au contraire de nous appeler à rendre des comptes, un jour. Il m’apparaît de plus en plus clairement, presque à chaque pulsation de mon cœur, que tu ne peux pas nous aider, mais que c’est à nous de t’aider et de défendre jusqu’au bout la demeure qui t’abrite en nous.
Etty HILLESUM, 12 juillet 1943.

Pierre,
frère de la Communion Béthanie

2e dimanche de l’Avent 2024

Une méditation sélectionnée par notre frère Pierre.

Paume 125 (126)

Quand le Seigneur ramena les captifs à Sion,
nous étions comme en rêve !
Alors notre bouche était pleine de rire,
nous poussions des cris de joie.

Alors on disait parmi les nations :
« Quelles merveilles fait pour eux le Seigneur ! »
Quelles merveilles le Seigneur fit pour nous :
nous étions en grande fête !

Ramène, Seigneur nos captifs,
comme les torrents au désert.
Qui sème dans les larmes
moissonne dans la joie.

Il s’en va, il s’en vient en pleurant,
il jette la semence ;
il s’en vient, il s’en vient dans la joie,
il rapporte les gerbes.

Il y a en moi un puits très profond. Et dans ce puits, il y a Dieu. Parfois, je parviens à l’atteindre. Mais plus souvent, des pierres et des gravats obstruent ce puits, et Dieu est enseveli. Alors il faut le remettre au jour. Il y a des gens, je suppose, qui prient les yeux levés vers le ciel. Ceux-là cherchent Dieu en dehors d’eux. Il en est d’autres qui penchent la tête et la cachent dans leurs mains, je pense que ceux-ci cherchent Dieu en eux-mêmes. (26 août 1941)

(…) Et je te remercie de m’avoir donné le don de lire dans le cœur des autres. Les gens sont parfois pour moi des maisons aux portes ouvertes. J’entre, j’erre à travers des couloirs, des pièces : dans chaque maison, l’aménagement est un peu différent, pourtant elles sont toutes semblables et l’on devrait pouvoir faire de chacune d’elles un sanctuaire pour toi, mon Dieu. Et je te le promets, je te le promets mon Dieu, je te chercherai un logement et un toit dans le plus grand nombre de maisons possible. C’est une image amusante : je me mets en route pour te chercher un toit. Il y a tant de maisons inhabitées où je t’introduirai comme invité d’honneur. Etty HILLESUM, in Une vie bouleversée (page 208).

Pierre,
frère de la Communion Béthanie

1er dimanche de l’Avent 2024

Méditation pour le temps de l’Avent proposée par Pierre, frère de la Communion Béthanie.

En ces jours-là, en ce temps-là, je ferai germer pour David un germe de justice qui exercera droit et justice dans le pays. En ces jours-là, Juda sera sauvé et Jérusalem habitera en sécurité. Voici le nom dont on appellera la Ville : « Yahvé-notre-Justice. » Jérémie 33, 15-16

En ces temps de grandes incertitudes teintées d’inquiétude sourde (réchauffement climatique, multiplication des régimes autoritaires, guerres en Ukraine et au Proche-Orient, montée des intolérances, violence des relations sociales, difficultés économiques…), la petite fille espérance comme disait Charles Péguy paraît si fragile et pourtant si nécessaire dans l’attente du Messie. Il peut sembler naïf d’espérer envers et contre tout et pourtant une jeune femme, Etty Hillesum, nous propose une voie possible. Hollandaise, juive, agnostique, aimant la vie, elle entreprendra un chemin spirituel bouleversant qui l’autorisera à affirmer, malgré les horreurs nazies, que « la vie est belle et pleine de sens ». Arrêtée, puis internée et enfin déportée à Auschwitz, elle sera gazée à l’âge de 29 ans.

Je crois que je vais le faire : tous les matins, avant de me mettre au travail, me « tourner vers l’intérieur », rester une demi-heure à l’écoute de moi-même. « Rentrer en moi-même. » Je pourrais dire aussi : méditer. Mais le mot m’horripile encore un peu. Oui, pourquoi pas: une demi-heure de paix en soi-même. On agite bien bras, jambes et autres muscles le matin dans la salle de bains; mais cela ne suffit pas. L’être humain est corps et esprit. Une demi-heure de gymnastique et une demi-heure de « méditation » peuvent fournir une bonne base de concentration pour toute une journée. Mais une « heure de paix », ce n’est pas si simple. Cela s’apprend.

Hineinhorchein, « écouter au-dedans », je voudrais disposer d’un verbe bien hollandais pour dire la même chose. De fait, ma vie n’est qu’une perpétuelle écoute « au-dedans», de moi-même, des autres, de Dieu. Et quand je dis que j’écoute « au-dedans », en réalité c’est plutôt Dieu en moi qui est à l’écoute. Ce qu’il y a de plus essentiel et de plus profond écoute l’essence et la profondeur de l’autre. Dieu écoute Dieu. Etty HILLESUM, in Une vie bouleversée (page 35, 207-208)

Pierre,
frère de la Communion Béthanie

4e dimanche de l’Avent 2023

Méditation pour le temps de l’Avent proposée par Timothée de Rauglaudre.

« La foi révolutionnaire de Marie »
Luc 1, 26-38

Le premier mot qui me vient à l’esprit, en parcourant l’Évangile du jour, c’est celui de confiance. Une énième lecture de l’Annonciation pourrait susciter une certaine lassitude. Par rapport au passage qui suit directement cet épisode, la Visitation à sa cousine Élisabeth, qui montre une Marie en mouvement, dans l’action, avant d’entonner le chant de libération du Magnificat, celui qui m’a converti, la Marie recevant le message de l’ange Gabriel peut paraître passive. On nous a rebattu les oreilles du oui de Marie, seriné l’image d’une jeune fille un peu naïve et pieuse, qui ne saisit pas ce qui lui arrive mais accepte béatement sa condition. Quand on sait en plus que certaines exégèses féministes ont questionné le passage du Seigneur prenant Marie sous son ombre (Luc 1, 35) comme la possible allégorie d’un viol, le malaise peut s’additionner à la lassitude. La mère de Dieu, modèle premier de toutes les femmes chrétiennes, n’est-elle réduite à être qu’un réceptacle, fût-ce de la grâce divine ?

La foi, confiance active

Mais je lis aujourd’hui cette visite de l’archange avec une certaine tendresse. Dans cette Marie toute bouleversée, qui se [demande] ce que [peut] signifier cette salutation (Luc 1, 29), face à l’ange qui la qualifie de Comblée-de-grâce (Luc 1, 28), je me revois, assis sur les bancs de derrière, à mes premières messes, incapable de comprendre quoi que ce soit à la liturgie, aux prières eucharistiques, aux paroles des chants suivis en chœur par l’assemblée. Et pourtant, j’ai poursuivi mon chemin, sans me poser trop de questions, en me faisant simplement disponible à la découverte, à la surprise. J’ai appris à me dire intérieurement : Voici la servante du Seigneur ; que tout m’advienne selon ta parole (Luc 1, 38). À demander à Dieu, dans ma prière intime, de prendre les commandes de ma vie, d’en être le seul maître, de me conduire sur ses chemins d’éternité (Ps 138 (139)). Ai-je été une créature passive, cédant à la niaiserie comme un adolescent à l’aube d’une rencontre amoureuse ? Je ne le crois pas. Je crois que la foi, étymologiquement la confiance, est une grâce donnée en toute gratuité, mais que la recevoir, l’accueillir au cœur de son quotidien, d’autant plus à une époque où domine la rationalité instrumentale – la foi ne sert à rien -, est un acte tout à fait souverain, actif, conséquent.

L’effort surnaturel de l’espérance

Quand il y a la foi, l’espérance n’est jamais loin. Espérer, croire que rien n’est impossible à Dieu (Luc 1, 37), est encore un effort monumental, surnaturel même. Bref, tout cet accueil de la grâce divine n’a rien d’un processus passif, il demande beaucoup de forces, il peut même être épuisant. Croire dans la traversée des ténèbres à la vraie lumière (1 Jean 2, 8) est infiniment plus fatigant que se laisser aller au désespoir et à l’apathie. Mais dire cela est un peu facile quand on vit dans une situation plutôt privilégiée. À l’approche de Noël, je ne peux m’empêcher de penser aux chrétiens palestiniens qui s’apprêtent à célébrer la naissance du Sauveur dans l’angoisse des bombes et de la répression, à Gaza, à Bethléem ou à Jérusalem-Est. Comment peuvent-ils voir au-delà d’un horizon obscur comme jamais, et croire que rien n’est impossible à Dieu (Luc 1, 37) ? Comment peuvent-ils entrer dans la confiance ferme de Job, traversant le malheur sans jamais douter de la bonté de son Créateur ? Il n’y a pas de recette miracle. Une telle disposition du cœur, une telle ouverture à l’espérance relève véritablement d’un effort surnaturel. Mais une chose peut y aider. En comprenant qu’il n’y a pas deux Marie, celle de l’Annonciation et du Magnificat, celle qui s’ouvre à la grâce et celle qui proclame dans la joie que le Seigneur renverse les puissants de leurs trônes et élève les humbles (Luc 1, 52), mais bien une seule, en comprenant que l’accueil de la foi est aussi l’accueil de la promesse libératrice du Seigneur, on peut marcher à la suite de Marie et de sa foi révolutionnaire, et alors peut s’ouvrir un chemin qui ne connaît plus aucune limite.

Ce chant pour accompagner la méditation : Bonum est confidere de Taizé.

Timothée de Rauglaudre
Journaliste et auteur

3e dimanche de l’Avent 2023

Méditation pour le temps de l’Avent proposée par Timothée de Rauglaudre.

« Jean, celui qui s’abaisse »
Jean 1, 6-8

Dimanche dernier, m’interrogeant sur le visage des prophètes d’aujourd’hui, je vous parlais de Jean le Baptiste et de ce qui caractérise selon moi son prophétisme, à la fois dans la lignée de celui de l’Ancien Testament, et d’un genre totalement nouveau, celui du temps du Messie qui vient après le temps du Temple. Je voyais chez Jean à la fois un prophétisme de paix, de sobriété et de folie.

L’Évangile du jour, qui inaugure cette fois-ci celui de Jean, nous montre le Précurseur sous un autre jour. L’Évangile de Jean, comparé aux trois autres Évangiles dits synoptiques, comportant de nombreux épisodes communs racontés de manières différentes, est plus théologique. Il nous dit plus finement, plus mystérieusement aussi, la vision de Dieu que veut nous transmettre Jésus, et la nature du Christ. C’est cet Évangile qui nous montre Jésus-Christ comme le Verbe fait chair et l’Agneau de Dieu.

Que nous dit le texte de Jean le Baptiste ? Sa description est sans doute plus modeste dans cet Évangile. Il est moins le sujet du récit que, véritablement, le Précurseur, celui dont le charisme prophétique consiste principalement à annoncer la venue imminente du Christ. Bien qu’ envoyé par Dieu, il est venu rendre témoignage à la Lumière, afin que tous croient par lui ; il n’est en quelque sorte qu’une médiation.

La voix

Bien plus que dans l’Évangile de Marc, ici, le personnage de Jean semble s’effacer totalement derrière le Christ. Face aux prêtres et aux lévites envoyés depuis Jérusalem, il ne se laisse pas démonter, alors qu’il sait les risques qu’il encourt : il répond à leurs questions. Interrogé sur sa propre identité, il commence par se définir par la négative : il n’est ni le Christ, ni Élie, ni le Prophète.

Comme agacés, les prêtres et les lévites insistent : Qui es-tu ? Il faut que nous donnions une réponse à ceux qui nous ont envoyés. Que dis-tu sur toi-même ? Ses interrogateurs raisonnent d’après les critères du monde : il faut décliner une identité, un nom et un rôle. Le christianisme, pourtant, vient redéfinir l’identité : elle est d’abord relation, unité en Christ, et fraternité avec la création.

Alors Jean le Baptiste formule finalement une réponse positive, mais non moins cryptique, citant plus explicitement que chez Marc le Livre d’Isaïe : Je suis la voix de celui qui crie dans le désert : Redressez le chemin du Seigneur. Cette citation ne nous en dit pas plus sur la nature de Jean le Baptiste. Au contraire, elle l’assimile à une fonction vitale, organique : la voix. Le dernier des prophètes continue de s’effacer.

Un abandon de la volonté propre

Enfin, une dernière fois, les prêtres et les lévites tentent leur chance : qui est ce prophète fou qui baptise dans les eaux du Jourdain ? Jean le Baptiste disparaît encore dans sa réponse, cette fois derrière celui qu’on devine aisément être le Christ : Au milieu de vous se tient celui que vous ne connaissez pas ; c’est lui qui vient derrière moi, et je ne suis pas digne de délier la courroie de sa sandale. Cette allusion mystérieuse, qu’on trouve dans les quatre Évangiles, mais aussi dans les Actes des apôtres, est une référence à plusieurs livres de l’Ancien Testament – il serait trop long de développer.

Quoi qu’il en soit, en se réduisant ainsi à sa mission d’annonciateur de la venue immédiate du Christ, Jean le Baptiste n’est pas passif : il enseigne aux chrétiens trois mouvements. Je me risque à qualifier le premier de dés-identification. La règle de saint Benoît parlera d’abandon de la volonté propre, ce qui peut nous paraître particulièrement radical dans la société de l’individu que nous connaissons. Ce qu’on doit y comprendre, c’est que le chrétien n’est pas d’abord un « je », mais un enfant de Dieu, qui dans le même élan le cherche et l’annonce. Le souci contemporain de la quête du Moi paraît bien superflu en comparaison. Cherchez d’abord le royaume de Dieu et sa justice, et tout cela vous sera donné par surcroît, nous dira Jésus (Mt 6, 33).

S’incliner devant la présence du Christ

Ensuite, là où le féminisme anglo-saxon nous parle d’« empowerment », on pourrait voir chez Jean une invitation au « dispowerment » (j’invente le terme). Le Précurseur se tient à l’écart de tout pouvoir, civil comme religieux. Il y a là une forme d’« ethos » anarchisant, qu’on retrouvera dans l’un de mes passages préférés du Nouveau Testament, à la fin de l’Évangile de Marc. Jésus nous dit que, alors que ceux que l’on regarde comme chefs des nations les commandent en maîtres ; les grands leur font sentir leur pouvoir, Marc 10, 42. Les chrétiens eux, doivent, pour suivre leur maître, suivre une autre logique : Celui qui veut devenir grand parmi vous sera votre serviteur. Celui qui veut être parmi vous le premier sera l’esclave de tous., Marc 10, 43-44. Le serviteur, l’esclave, c’est celui qui renonce à tout pouvoir.

Enfin, Jean le Baptiste nous invite à un dernier mouvement, qui résume les deux autres : l’abaissement. La prosternation devant le seul maître, celui qui détrône tous les autres, terrestres comme célestes. Lui, il faut qu’il grandisse ; et moi, que je diminue, dira encore Jean (Jean 3, 30). Quiconque s’élève sera abaissé ; et qui s’abaisse sera élevé, dira de son côté Jésus, Luc 14, 11. L’humilité suprême, celle du serviteur qui s’incline devant le Dieu trinitaire, devant la présence du Christ dans l’hostie ou dans le pauvre, voilà le chemin radical que sont appelés à emprunter celles et ceux qui ont fait le choix exigeant de s’engager à la suite du Christ, comme l’a fait le premier son Précurseur, celui qui prépare ses chemins, Jean le Baptiste.

Mais plus incroyable encore, comme va nous le montrer le mystère de l’Incarnation que nous nous apprêtons à célébrer : le Dieu devant lequel nous nous abaissons, lui-même s’abaisse en se faisant vrai homme, tout petit, innocent dans la crèche, fils de charpentier à Nazareth, puis entrant à Jérusalem à dos d’ânon. La royauté céleste qui se dépouille volontairement de sa toute-puissance, ce mouvement surnaturel que la théologie appelle la kénose, est le signe par excellence du mystère chrétien. Nous voilà invités à nous incliner devant un Dieu qui, lui aussi, s’incline face à nous.

Ce chant pour accompagner la méditation : Regardez l’humilité de Dieu, d’Anne-Sophie Rahm.

Timothée de Rauglaudre
Journaliste et auteur

2e dimanche de l’Avent 2023

Méditation pour le temps de l’Avent par Timothée de Rauglaudre.

« La folie des prophètes »
Marc 1, 1-8

Qui sont les prophètes d’aujourd’hui ? Le texte du jour, qui ouvre l’Évangile de Marc, inscrit Jean le Baptiste, précurseur de l’Incarnation du Sauveur, dans la lignée prophétique. Dans l’Ancien Testament, le prophète est la figure de la croisée des chemins. L’Esprit qui parle par sa bouche est à la fois un esprit de dénonciation, d’avertissement et de lumière. Il dénonce l’égarement du peuple d’Israël, qui s’est éloigné des voies du Seigneur et a brisé l’unité du corps social voulue par Lui. Il l’a généralement brisée soit par l’idolâtrie, soit par l’enrichissement abusif de quelques-uns au détriment des plus pauvres. Israël se trouve alors face à un choix, annonce le prophète. Ou bien il se convertit, redresse ses comportements et ouvre un chemin de lumière où toutes les nations pourront être accueillies dans la maison de David, signe d’une humanité réconciliée. Ou bien il persiste dans son égarement et alors, Dieu lui prépare de terribles châtiments.

Jean le Baptiste obéit bien à cette image du prophétisme. La mention (approximative) du Livre d’Isaïe est là pour le rappeler : Voici que j’envoie mon messager en avant de toi, pour ouvrir ton chemin. Voix de celui qui crie dans le désert : préparez le chemin du Seigneur, rendez droits ses sentiers. Mais il occupe une place bien à part dans l’histoire prophétique. Il est, dans la tradition chrétienne, le dernier prophète d’Israël, celui qui s’apprête à baptiser l’Agneau de Dieu, le Fils de Dieu lui-même. Nous ne sommes plus tout à fait dans le temps messianique, mais dans l’accueil du Messie. Aussi n’est-il pas inintéressant d’examiner ce qui caractérise Jean, choisi pour accomplir cette tâche immense.

Le temps du Messie

Il vient d’une famille de juifs fervents, est le fils d’un prêtre, du nom de Zacharie, dont nous tenons le très beau cantique que chantent les moines et moniales et toutes celles et ceux qui suivent la liturgie des Heures, chaque matin, à l’office des laudes, et qui commence ainsi : Béni soit le Seigneur, le Dieu d’Israël, qui visite et rachète son peuple. Il a fait surgir la force qui nous sauve dans la maison de David, son serviteur. La mère de Jean est Élisabeth, l’autre visage, avec Marie de Nazareth, sa cousine, de la Visitation. Elle est tombée enceinte de Jean, de manière inespérée, malgré son âge avancé. Elle est celle qui est emplie de l’Esprit saint en voyant arriver Marie, enceinte du Sauveur, et qui s’exclame : Tu es bénie entre toutes les femmes, et le fruit de tes entrailles est béni. Ses deux parents sont des témoins privilégiés de la joie messianique.

Jean, cependant, fait un pas de côté par rapport à l’héritage sacerdotal de sa famille. Ce qu’il prône, pour entrer dans les voies du Seigneur, n’est pas l’observance stricte des rites au Temple de Jérusalem, haut lieu de l’aristocratie sacerdotale, mais le baptême dans les eaux du Jourdain. D’où le nom qu’on lui donne : Jean le Baptiste. Jean opère une forme de transgression, une transgression eschatologique. Le Sauveur arrive, ce n’est plus le temps du Temple, mais celui du Messie. C’est une question qui pourrait se poser dans l’Église contemporaine : la ferveur, la ritualité connaissent une résurgence parmi les jeunes générations, mais nos cœurs sont-ils convertis, sont-ils vraiment prêts à accueillir la venue du Christ ? Les victimes d’abus de toutes sortes n’incarnent-elles pas ensemble une forme de prophétisme nouveau, obligeant l’Église à s’abaisser face à la détresse des plus petits d’entre nous ?

Paix et sobriété

Autre élément qui distingue Jean : c’est un prophète de paix. Certes rebelle, la révolte à laquelle il appelle n’est pas une révolte des armes, comme celle de Judas le Galiléen ou celle des Zélotes contre l’Empire romain, réprimées dans le sang, mais une révolte du cœur. Et son appel attire : il crie dans le désert, mais nombreux sont ceux qui l’entendent. Ce prophétisme de paix évoque celui de Dorothy Day, de Thomas Merton ou, aujourd’hui, du pape François et de tant d’artisans de paix méconnus, qui crient dans un monde militarisé pour que se taisent les armes et brille la vraie lumière. Leur message devrait nous saisir et fructifier en nous, particulièrement dans le contexte que nous avons connu ces dernières semaines, ces derniers mois.

Précurseur, Jean l’est aussi comme prophète de l’ascèse et de la sobriété. Deux siècles avant les Pères du Désert, il quitte le luxe et la corruption des villes pour fuir le monde et vivre en ermite. Il vit de peu : pauvrement vêtu, il se nourrit de sauterelles et de miel sauvages. Sans aller jusqu’à ce niveau de radicalité, de plus en plus de personnes quittent aujourd’hui les villes, sanctuaire de la modernité et de l’accélération, où l’air est empoisonné, pour vivre plus simplement, à la campagne, reprendre des fermes, recréer des solidarités. Ces déserteurs sont un témoignage vivant qui nous dit qu’un autre monde est possible, et que les crises écologiques nous invitent urgemment à le bâtir.

Heureux les fous

Enfin, ce qui me frappe dans ce texte, c’est la folie de Jean le Baptiste. Fuir le monde, vivre de peu, annoncer la fin des temps. Pour peu, il me rappellerait ces photos d’hommes et de femmes qui marchent dans les rues en brandissant un panneau qui proclame : La fin est proche. Pourtant, la folie de Jean est signe de son onction prophétique. Là encore, Isaïe nous avait prévenus : Je fais divaguer les devins, je fais reculer les sages et délirer leur savoir. Isaïe lui-même se baladait les pieds nus, en prophétisant la captivité prochaine en Égypte. Saint Paul le confirmera : Ce qu’il y a de fou dans le monde, voilà ce que Dieu a choisi, pour couvrir de confusion les sages, 1 Co 1, 27. On parlera bien plus tard de fols-en-Christ pour désigner celles et ceux qui abandonnent leurs biens et le confort de la vie mondaine pour suivre le Christ, dont saint François d’Assise est l’archétype. On peut penser également à toutes ces féministes qui ont été accusées d’hystérie pour les réduire au silence, alors qu’elles ouvraient la voie à un monde de justice, débarrassé des chaînes du patriarcat.

Alors, qui sont les prophètes (et les prophétesses) d’aujourd’hui ? Qu’ils soient prophètes de paix, de sobriété, d’humilité dans l’Église, je suis intimement convaincu d’une chose. Le prophétisme n’est pas une affaire de savants, de technocrates ou d’ecclésiastiques bardés de diplômes. Ce n’est pas une affaire de raison, de froide rationalité. Pour avertir une humanité saisie de pulsions d’autodestruction sur ses égarements, pour prétendre s’opposer à la fuite en avant d’un monde qui se précipite allègrement vers le chaos, pour avoir en son cœur une espérance suffisamment ancrée pour croire que l’histoire peut se renverser et des chemins de lumière, s’ouvrir, il faut être sacrément fou.

Ce chant pour accompagner la méditation : Ce qu’il y a de fou dans le monde, de la Communauté du Chemin neuf.

Timothée de Rauglaudre,
Journaliste et auteur

1er dimanche de l’Avent 2023

Méditation pour le temps de l’Avent proposée par Timothée de Rauglaudre

« Restez éveillés… Stay woke ! »
Marc 13, 33-37

Dans l’Évangile du jour, Jésus invite ses disciples, et par extension nous invite, à veiller. Il insiste : «restez éveillés», «veillez», «veillez donc», «veillez», car nul ne sait quand viendra le maître. L’invitation est d’abord eschatologique : la venue du maître, c’est la parousie, la venue du Christ dans la fin des temps. La mention précédant ce passage, dans l’Évangile de Marc, des persécutions et des guerres qui préfigureront la venue du Fils de l’homme, ne laisse guère place au doute.

Mais le temps eschatologique ne peut être réduit à un temps chronologique qui marquera la fin de l’histoire, laissant les chrétiens à la seule prière dans cette attente. La fin des temps, ce n’est pas que l’achèvement du temps, c’est aussi l’accomplissement des temps. Le Christ est celui qui vient, au présent, qui nous a prévenus qu’il serait avec nous à jamais, dès aujourd’hui. Son royaume se bâtit ici et maintenant, pierre par pierre, un chantier long et discret qui ne sera terminé qu’à la fin des temps. La parousie, en grec, c’est la présence. Le bon pape Jean nous enjoignait à guetter les «signes des temps» à plisser les yeux pour mieux voir les avancées du chantier du royaume, la présence permanente du Christ.

Alors à quoi, à qui faut-il veiller ? La philosophe Simone Weil accorde à la capacité d’attention, une notion proche de celle d’éveil, une valeur supérieure, divine. À travers ses écrits, on trouve des exemples de situations où l’attention se trouve sublimée : la prière, le travail manuel et la défense des pauvres et des opprimés. Cette dernière situation est annoncée explicitement par Jésus dans l’Évangile de Matthieu : au Jugement dernier, seront récompensés ceux qui auront servi les affamés, les prisonniers, les malades, car sans le savoir, ils auront servi le Christ.

Il est intéressant de noter que celles et ceux qui critiquent le «wokisme», en désignant la lutte contre les diverses injustices, le comparent régulièrement aux mouvements protestants de réveil, en soulignant la parenté linguistique. Si la comparaison se veut péjorative, on peut la prendre à contresens. Le restez éveillés de Jésus pourrait se traduire en anglais par «stay woke».

La figure du veilleur est récurrente dans la Bible. La prophétie d’Isaïe demande : «Veilleur, où en est la nuit ?» Les psaumes parlent du veilleur qui guette l’aurore. Dans l’Évangile de Marc, au chapitre suivant, le Christ commençant à entrer dans sa Passion demande à ses disciples de veiller – sans grand succès. L’exégèse chrétienne voit dans le veilleur lui-même une image du Christ. Marcher à la suite de l’Agneau, c’est aussi veiller sur la part de lumière du monde, être lumière face aux ténèbres de l’injustice. Le veilleur réconcilie dans le geste d’attention la prière et l’action au service du royaume.

Timothée de Rauglaudre,
Journaliste et auteur

4e dimanche de l’Avent 2022

Une méditation proposée par notre frère Jean-Michel.

Joseph, son époux, qui était un homme juste
Matthieu 1, 18-24

Joseph, il faut finement te chercher à travers les silences et les lignes du texte évangélique.
Presque rien n’est écrit sur toi.
Autrement dit, il est écrit un essentiel, l’essentiel.
Tu es ajusté.
Tu es une humanité juste ajustée !

Quand la confiance de la foi devient parfois peu accessible, nous pouvons dire à Dieu :
Ne regarde pas ma petite foi, mais donne-moi de m’appuyer sur la foi de toute l’Église, sur celle de tant d’humbles qui ont vécu de toi incomparablement.

Frère Roger de Taizé

Jean-Michel+,
frère prieur de la Communion Béthanie

3e dimanche de l’Avent 2022

Une méditation proposée par notre frère Jean-Michel.

Les pauvres reçoivent la Bonne Nouvelle
Matthieu 11, 11

Les aveugles retrouvent la vue,
et les boiteux marchent,
les lépreux sont purifiés,
et les sourds entendent,
les morts ressuscitent,
et les pauvres reçoivent la Bonne Nouvelle.

Matthieu 11, 2-11

Je ne vois pas clairement.
Je boîte.
La lèpre me colle à la peau.
Je n’entends pas finement.
Je suis claquemuré vivant dans une tombe.

Le pauvre que je suis réellement reçoit la Bonne Nouvelle.
Jésus, Évangile vivant, vient me rejoindre là où je suis, errant et itinérant.

Dieu de tout amour, tu nous emplis d’une fraîcheur d’Évangile quand la confiance du cœur est au commencement de tout.
Frère Roger de Taizé

Jean-Michel+,
frère prieur de la Communion Béthanie

2e dimanche de l’Avent 2022

Une méditation proposée par notre sœur Brigitte.

Voix de celui qui crie dans le désert : Préparez le chemin du Seigneur ; redressez ses sentiers !
Matthieu 3, 1-12

Second dimanche de l’Avent : nous accueillons, là où nous sommes, le cri de Jean le Baptiste : Préparez le chemin du Seigneur ; redressez ses sentiers !

S’il était possible de sonder un cœur humain, la surprise serait d’y découvrir la silencieuse attente d’une présence.
Dans l’évangile de Jean, voilà qu’apparaît une réponse à cette attente :
Il y a parmi vous Quelqu’un que vous ne connaissez pas.
N’est-il pas toujours au milieu de nous, ce Christ que peut-être nous connaissons peu ?

frère Roger de Taizé

Second dimanche de l’Avent, avec Jean le Baptiste, avec Frère Roger de Taizé, avec Christian Bobin :

J’aime les sourciers
Qui font voler en éclat les portes du temple,
Qui n’ont pas peur d’eux-mêmes
Ni du regard inquiet qui les fige.
Ils savent trouver passage,
Ils connaissent la brèche
Où le vieux monde s’anime
Et s’élance à nouveau.

Jean-Michel+,
frère prieur de la Communion Béthanie

Pause méditation du 28 novembre 2022

Une méditation proposée par notre frère Sylvain.

Veille et joie

Avec le Temps liturgique de l’Avent, notre chemin vers Noël a commencé.

Nous mettons nos pas dans ceux des croyants qui ont attendu l’avènement de la promesse du salut.

Ce temps est un temps de veille et de joie.

Avec le prophète Isaïe, Venez, maison de Jacob ! Marchons à la lumière du Seigneur ! Isaïe 2, 5
Avec le psalmiste, Quelle joie quand on m’a dit : Nous irons à la maison du Seigneur ! Ps 121
Avec Paul, c’est le moment, L’heure est déjà venue de sortir de votre sommeil. Car le salut est plus près de nous maintenant ! Ro 13, 11
Avec Jésus, Veillez donc, car vous ne savez pas quel jour votre Seigneur vient. Mt 24, 42

Seigneur Jésus, apprends-moi à entrer dans ce Temps en communion avec tous tes disciples en chemin.
Il me semble que ma veille et ma joie, au fond, pourraient simplement être de te renouveler toute ma confiance.
Alors, accueille mon humble prière aujourd’hui :

Mon Dieu, je suis si persuadé que tu veilles sur ceux qui espèrent en toi, et qu’on ne peut manquer de rien quand on attend de toi toutes choses,
que j’ai résolu de vivre à l’avenir sans aucun souci, et de me décharger sur toi de toutes mes inquiétudes :
Dans la paix, moi aussi, je me couche et je dors, car tu me donnes d’habiter, Seigneur, seul, dans la confiance. Ps. 4, 9
Les hommes peuvent me dépouiller et des biens et de l’honneur,
les maladies peuvent m’ôter les forces et les moyens de te servir,
je puis même perdre ta grâce par le péché; mais jamais je ne perdrai mon espérance, je la conserverai jusqu’au dernier moment de ma vie,
et tous les démons de l’enfer feront à ce moment de vains efforts pour me l’arracher : « Dans la paix, moi aussi, je me couche et je dors.

Certains peuvent attendre leur bonheur de leurs richesses ou de leurs talents,
d’autres s’appuyer sur l’innocence de leur vie, ou sur la rigueur de leurs pénitences,
ou sur le nombre de leurs aumônes, ou sur la ferveur de leurs prières.
Pour moi, Seigneur, toute ma confiance, c’est ma confiance même ; cette confiance ne trompa jamais personne.
Je suis donc assuré que je serai éternellement heureux, parce que j’espère fermement de l’être,
et que c’est de toi, ô mon Dieu, que je l’espère. Amen.

Claude La Colombière, 1641-1682.

Sylvain,
frère de la Communion Béthanie

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