Méditation pour le temps de l’Avent par Timothée de Rauglaudre.
Qui sont les prophètes d’aujourd’hui ? Le texte du jour, qui ouvre l’Évangile de Marc, inscrit Jean le Baptiste, précurseur de l’Incarnation du Sauveur, dans la lignée prophétique. Dans l’Ancien Testament, le prophète est la figure de la croisée des chemins. L’Esprit qui parle par sa bouche est à la fois un esprit de dénonciation, d’avertissement et de lumière. Il dénonce l’égarement du peuple d’Israël, qui s’est éloigné des voies du Seigneur et a brisé l’unité du corps social voulue par Lui. Il l’a généralement brisée soit par l’idolâtrie, soit par l’enrichissement abusif de quelques-uns au détriment des plus pauvres. Israël se trouve alors face à un choix, annonce le prophète. Ou bien il se convertit, redresse ses comportements et ouvre un chemin de lumière où toutes les nations pourront être accueillies dans la maison de David, signe d’une humanité réconciliée. Ou bien il persiste dans son égarement et alors, Dieu lui prépare de terribles châtiments.
Jean le Baptiste obéit bien à cette image du prophétisme. La mention (approximative) du Livre d’Isaïe est là pour le rappeler : Voici que j’envoie mon messager en avant de toi, pour ouvrir ton chemin. Voix de celui qui crie dans le désert : préparez le chemin du Seigneur, rendez droits ses sentiers. Mais il occupe une place bien à part dans l’histoire prophétique. Il est, dans la tradition chrétienne, le dernier prophète d’Israël, celui qui s’apprête à baptiser l’Agneau de Dieu, le Fils de Dieu lui-même. Nous ne sommes plus tout à fait dans le temps messianique, mais dans l’accueil du Messie. Aussi n’est-il pas inintéressant d’examiner ce qui caractérise Jean, choisi pour accomplir cette tâche immense.
Le temps du MessieIl vient d’une famille de juifs fervents, est le fils d’un prêtre, du nom de Zacharie, dont nous tenons le très beau cantique que chantent les moines et moniales et toutes celles et ceux qui suivent la liturgie des Heures, chaque matin, à l’office des laudes, et qui commence ainsi : Béni soit le Seigneur, le Dieu d’Israël, qui visite et rachète son peuple. Il a fait surgir la force qui nous sauve dans la maison de David, son serviteur. La mère de Jean est Élisabeth, l’autre visage, avec Marie de Nazareth, sa cousine, de la Visitation. Elle est tombée enceinte de Jean, de manière inespérée, malgré son âge avancé. Elle est celle qui est emplie de l’Esprit saint en voyant arriver Marie, enceinte du Sauveur, et qui s’exclame : Tu es bénie entre toutes les femmes, et le fruit de tes entrailles est béni. Ses deux parents sont des témoins privilégiés de la joie messianique.
Jean, cependant, fait un pas de côté par rapport à l’héritage sacerdotal de sa famille. Ce qu’il prône, pour entrer dans les voies du Seigneur, n’est pas l’observance stricte des rites au Temple de Jérusalem, haut lieu de l’aristocratie sacerdotale, mais le baptême dans les eaux du Jourdain. D’où le nom qu’on lui donne : Jean le Baptiste. Jean opère une forme de transgression, une transgression eschatologique. Le Sauveur arrive, ce n’est plus le temps du Temple, mais celui du Messie. C’est une question qui pourrait se poser dans l’Église contemporaine : la ferveur, la ritualité connaissent une résurgence parmi les jeunes générations, mais nos cœurs sont-ils convertis, sont-ils vraiment prêts à accueillir la venue du Christ ? Les victimes d’abus de toutes sortes n’incarnent-elles pas ensemble une forme de prophétisme nouveau, obligeant l’Église à s’abaisser face à la détresse des plus petits d’entre nous ?
Paix et sobriétéAutre élément qui distingue Jean : c’est un prophète de paix. Certes rebelle, la révolte à laquelle il appelle n’est pas une révolte des armes, comme celle de Judas le Galiléen ou celle des Zélotes contre l’Empire romain, réprimées dans le sang, mais une révolte du cœur. Et son appel attire : il crie dans le désert, mais nombreux sont ceux qui l’entendent. Ce prophétisme de paix évoque celui de Dorothy Day, de Thomas Merton ou, aujourd’hui, du pape François et de tant d’artisans de paix méconnus, qui crient dans un monde militarisé pour que se taisent les armes et brille la vraie lumière. Leur message devrait nous saisir et fructifier en nous, particulièrement dans le contexte que nous avons connu ces dernières semaines, ces derniers mois.
Précurseur, Jean l’est aussi comme prophète de l’ascèse et de la sobriété. Deux siècles avant les Pères du Désert, il quitte le luxe et la corruption des villes pour fuir le monde et vivre en ermite. Il vit de peu : pauvrement vêtu, il se nourrit de sauterelles et de miel sauvages. Sans aller jusqu’à ce niveau de radicalité, de plus en plus de personnes quittent aujourd’hui les villes, sanctuaire de la modernité et de l’accélération, où l’air est empoisonné, pour vivre plus simplement, à la campagne, reprendre des fermes, recréer des solidarités. Ces déserteurs sont un témoignage vivant qui nous dit qu’un autre monde est possible, et que les crises écologiques nous invitent urgemment à le bâtir.
Heureux les fousEnfin, ce qui me frappe dans ce texte, c’est la folie de Jean le Baptiste. Fuir le monde, vivre de peu, annoncer la fin des temps. Pour peu, il me rappellerait ces photos d’hommes et de femmes qui marchent dans les rues en brandissant un panneau qui proclame : La fin est proche. Pourtant, la folie de Jean est signe de son onction prophétique. Là encore, Isaïe nous avait prévenus : Je fais divaguer les devins, je fais reculer les sages et délirer leur savoir. Isaïe lui-même se baladait les pieds nus, en prophétisant la captivité prochaine en Égypte. Saint Paul le confirmera : Ce qu’il y a de fou dans le monde, voilà ce que Dieu a choisi, pour couvrir de confusion les sages, 1 Co 1, 27. On parlera bien plus tard de fols-en-Christ pour désigner celles et ceux qui abandonnent leurs biens et le confort de la vie mondaine pour suivre le Christ, dont saint François d’Assise est l’archétype. On peut penser également à toutes ces féministes qui ont été accusées d’hystérie pour les réduire au silence, alors qu’elles ouvraient la voie à un monde de justice, débarrassé des chaînes du patriarcat.
Alors, qui sont les prophètes (et les prophétesses) d’aujourd’hui ? Qu’ils soient prophètes de paix, de sobriété, d’humilité dans l’Église, je suis intimement convaincu d’une chose. Le prophétisme n’est pas une affaire de savants, de technocrates ou d’ecclésiastiques bardés de diplômes. Ce n’est pas une affaire de raison, de froide rationalité. Pour avertir une humanité saisie de pulsions d’autodestruction sur ses égarements, pour prétendre s’opposer à la fuite en avant d’un monde qui se précipite allègrement vers le chaos, pour avoir en son cœur une espérance suffisamment ancrée pour croire que l’histoire peut se renverser et des chemins de lumière, s’ouvrir, il faut être sacrément fou.
Ce chant pour accompagner la méditation : Ce qu’il y a de fou dans le monde, de la Communauté du Chemin neuf.
Timothée de Rauglaudre,
Journaliste et auteur