Retour sur notre retraite de l’Avent 2022 par notre sœur Valérie.
Maison franciscaine La Clarté-Dieu, à Orsay
Vendredi 25 novembre – dimanche 27 novembre 2022
L’évangile des fragiles…
C’est autour de ce thème que notre frère Philippe Lefebvre, dominicain, bibliste, devait partager la Parole…et c’est bien autour de ce thème que s’est vécue cette retraite, en dépit de son absence.
Fr. Philippe Lefebvre, empêché, fragilisé en son corps, a en effet dû renoncer à nous rejoindre. Ce n’est que partie remise, soyons-en sûr·es !
On ne saurait trop remercier nos frères et sœurs du Conseil, qui, loin de se laisser abattre par ce changement de programme de dernière minute, ont su rebondir et réinventer au pied levé une retraite qui nous ressemble, qui nous rassemble, autour de nos fragilités, autour de nos forces aussi, de nos dons et talents. Qu’ils en soient chaleureusement remerciés, ainsi que celles et ceux qui ont offert un temps de prière, et notre frère Manuel pour la très belle célébration de dimanche matin.
Samedi… visiter nos fragilités
Samedi matin, nous avons pris le temps, en début de retraite, de nous saluer, frères, sœurs, ami·es et de nous donner des nouvelles des frères et sœurs absents mais si présentes en nos cœurs.
Joie d’être ensemble, de revoir des ami·es de longues dates de la Communion Béthanie, joie de découvrir de nouveaux visages !
Puis notre frère Sylvain nous a fait le beau cadeau d’un partage de son expérience d’aumônier d’hôpital : un « témoignage de ce que je reçois, des grâces dont je suis le témoin, de ce qui émane de si grandes fragilités, du chemin qui s’accomplit, par ces corps meurtris, malades. »
Avec une belle discrétion et une grande délicatesse, il nous a entraîné à sa suite sur le chemin de la rencontre. Rencontre avec la fragilité de l’autre, dans son corps malade, dans son corps meurtri, mourant parfois ; rencontre avec sa propre fragilité d’homme, de prêtre, d’aumônier. Franchir la porte d’une chambre d’hôpital est toujours une aventure qui demande courage et confiance et la rencontre qui s’en suit – ou pas, car s’il est attendu par certains malades, d’autres l’éconduisent – se vit au plus près du cœur, touche et questionne. L’aumônier est visité, au moins autant que celui à qui il rend visite…
Sylvain cite Gabriel Ringuet, Éloge de la fragilité : « Cette précarité essentielle qui nous rend vivant » …, évoque, en ce temps de l’Avent, « le joyeux avènement de ce qui se relève par nos fragilités » et nous rapporte cette parole d’un malade, inspirante par sa simplicité et ce qu’elle implique de dépouillement : « Maintenant je déguste un verre d’eau. Ma vie a changé. »
Peut-être pouvons-nous retenir du témoignage de Sylvain cette question qu’il pose, se pose : « Et si ces malades étaient parole pour notre société et pour l’Église de notre temps ? »
C’est ensuite en petits groupes que nous avons poursuivi l’échange.
L’après-midi, notre sœur Loan nous a convié·es à une autre sorte de voyage, au cœur de nous-même ; voyage en cœur et en corps par quelques exercices et une méditation guidée. Elle nous a ensuite invité·es à prendre le temps d’écrire une lettre à notre corps, exercice qu’il est toujours possible de faire, ou de refaire, comme on se donne rendez-vous avec soi-même, en vérité.
Poursuivant sur le thème de la retraite, notre frère Raphaël nous a proposé de partager autour de ce texte de Christian Bobin, décédé le 23 novembre 2022.
Le voici, pour celles et ceux qui souhaiteraient le lire ou le relire tranquillement :
Ce qui naît, c’est ce qui meurt. Alors peut-être que ce qui meurt est ce qui naît ? C’est une vraie interrogation. La main invisible qui nous donne la vie, qui nous offre les nuages, la pluie d’été, un poème inestimable, la surprise d’une amitié qui traversera toute notre existence, je sais que cette main est paradoxale. Elle donne et prend en même temps, elle offre et elle efface, elle fait apparaître et disparaître dans la même seconde. L’écriture me semble avoir son intérêt quand elle arrive à saisir ce double trait qui est celui de toute notre vie : le noir et le blanc, la douleur et la joie, l’effroi et la merveille à leur point de jonction, avant que la beauté n’aille d’un côté et la peur de l’autre. Si nous sommes sûrs d’être éternels, c’est précisément parce que nous éprouvons que nous sommes mortels. Dans ce sentiment de notre fragilité, nous connaissons notre éternité. Les choses qui se présentent comme dure, solides et défiant le temps, sont celles qui seront livrées à la ruine et à la rouille, que ce soit les grands palais ou les ambitions, voire nos volontés dès qu’elles se crispent. Et celles qui semblent sans poids, qu’un rien peut chasser tel un sourire sur un visage, témoignent de ce qui traverse la vie et la mort.
Et qui continue…
La journée s’est terminée par une veillée au cours de laquelle nos nouveaux frères, Christophe et Pierre ont été accueillis en Communion Béthanie. JOIE de les compter parmi nous !
Dimanche… écouter et prier ensemble
Dimanche, c’est par un temps d’oraison silencieuse dans l’oratoire qu’a démarré la journée. Expérience de prière que l’on vit seul·e chez soi tout au long de l’année, vécue dans le même silence en ce dimanche matin, mais dans la proximité physique de nos frères, sœurs, ami·es…
Notre Frère Jean-Michel nous a ensuite offert son témoignage, renouvelé par le Souffle qui le traverse, dans une fragilité et une colère assumées, dans l’espérance aussi, qu’il trouve auprès de tous ces jeunes qu’il côtoie, qu’il accompagne, dans son métier d’animateur en pastorale scolaire.
La retraite s’est achevée par la célébration présidée par Manuel
Aux trois piliers de notre Communion Béthanie, Prier, Aimer, Servir, notre frère Manuel en a ajouté un 4e, non sans humour : Improviser. Il a en effet réussi à glisser dans la liturgie proposée quelques instants de partage, dont un pour évoquer librement les lettres à nos corps écrites la veille.
Une retraite… pour le corps et l’esprit
Sylvain nous faisait remarquer samedi les nombreuses citations sur le silence ornant les murs nus et froids de la Clarté-Dieu : « Le silence est une parole », « Les arbres et les feuilles poussent en silence », etc.
Le silence ET la Parole auront été au cœur de cette retraite et ce fût bon !
Ensemble, depuis le lieu de nos faiblesses, nous avons laissé Dieu tisser un peu de notre corps spirituel, en faisant corps en frères, sœurs, ami·es.
Le silence comme la parole ont œuvré plus d’une fois à nous emmener ensemble dans un même élan physiquement palpable vers le cœur du mystère où se malaxent Vie et Mort. Subtil changement d’état, par la grâce d’un témoignage partagé depuis le cœur, du rythme calme et lent de nos respirations, d’une oraison, d’un silence, d’un chant, d’un geste, voie par laquelle les pensées s’apaisent, l’écoute se fait plus intense et où l’instant, fragile, se fait profondeur et communion.
Gratitude pour ces moments-là !
S’il est évident que chacun, chacune, avons de nos fragilités des expériences singulières et uniques, une compréhension qui nous est propre, il est tout aussi évident que ces fragilités sont pour nous terres fertiles de la rencontre au Christ dans nos vies chahutées.
Un très bon temps de l’Avent à tous et toutes !
Valérie,
sœur de la Communion Béthanie
Une méditation proposée par notre sœur Brigitte.
Second dimanche de l’Avent : nous accueillons, là où nous sommes, le cri de Jean le Baptiste : Préparez le chemin du Seigneur ; redressez ses sentiers !
S’il était possible de sonder un cœur humain, la surprise serait d’y découvrir la silencieuse attente d’une présence.
Dans l’évangile de Jean, voilà qu’apparaît une réponse à cette attente :
Il y a parmi vous Quelqu’un que vous ne connaissez pas.
N’est-il pas toujours au milieu de nous, ce Christ que peut-être nous connaissons peu ?
frère Roger de Taizé
Second dimanche de l’Avent, avec Jean le Baptiste, avec Frère Roger de Taizé, avec Christian Bobin :
J’aime les sourciers
Qui font voler en éclat les portes du temple,
Qui n’ont pas peur d’eux-mêmes
Ni du regard inquiet qui les fige.
Ils savent trouver passage,
Ils connaissent la brèche
Où le vieux monde s’anime
Et s’élance à nouveau.
Jean-Michel+,
frère prieur de la Communion Béthanie
Une méditation sélectionnée par notre sœur Françoise.
Je t’aimais. Je t’aime. Je t’aimerai. Il ne suffit pas d’une chair pour naître.
Il y fait aussi cette parole. Elle vient de loin. Elle vient du bleu lointain des cieux, elle s’enfonce dans le vivant, elle ruisselle sous les chairs du vivant comme une eau souterraine d’amour pur.
Ce n’est pas nécessaire de connaître la Bible pour l’entendre. Ce n’est pas nécessaire de croire en Dieu pour être vivifié par son souffle.
Cette parole imprègne chaque page de la Bible, mais elle imprègne aussi bien les feuilles des arbres, les poils des animaux et chaque grain de poussière volant dans l’air. Le fin fond de la matière, son dernier noyau, sa pointe ultime, ce n’est pas la matière mais cette parole. Je t’aime. Je t’aime d’un amour éternel, éternellement tourné vers toi – poussière, bête, homme. (…). Avant de planer sur les berceaux, avant de danser aux lèvres des mères, cette parole se fraie un chemin au travers des voix (…). Et par le travers, et par en dessous, et par en dessus, l’esprit du vent, la folle rumeur, le bourdonnement dans le sang rouge : Je t’aime. Bien avant que tu sois né. Bien avant la fin des temps. Je t’aime dans toutes éternités.
Christian Bobin, Le Très bas.
Françoise,
sœur de la Communion Béthanie
Une méditation sélectionnée par notre sœur Françoise.
C’est une question enfantine Elle est posée par l’âme qui s’agite dans une poignée de ciel bleu sous un silence trop grand pour elle : D’où je viens, moi qui n’étais pas toujours là ? Où j’étais quand je n’étais pas né ?
Notre époque a la réponse la plus courte qui soit : tu viens d’une copulation entre ton père et ta mère…
Au treizième siècle, au siècle de François d’Assise, la réponse était plus longue, beaucoup plus longue, même si elle se révélait aussi peu capable d’éteindre la question…Au treizième siècle on venait de Dieu et on y retournait.
La réponse était dans la Bible, ne faisait qu’un avec le Livre. Elle n’était pas tant dans la Bible que dans le cœur de celui qui lisait la Bible pour y trouver la réponse.
Et il ne pouvait bien lire qu’en faisant entrer sa lecture dans chacun de ses jours. La réponse n’était pas lue, mais éprouvée – charnellement éprouvée, mentalement éprouvée, spirituellement éprouvée.
Ce n’était pas une réponse de professeurs. Les professeurs sont des gens qui apprennent aux autres les mots qu’eux-mêmes ont trouvés dans les livres.
Mais on n’apprend pas dans un livre d’air. On en reçoit par intervalles la fraîcheur. On tressaille sous le souffle d’une parole : je t’aimais bien avant que tu sois né. Je t’aimerai bien après la fin des temps. Je t’aime dans toutes éternités…
Et avant d’être dans la Bible, cette parole, où elle était, d’où elle venait ?
Elle planait sur le vide des terres et sur le vide des cœurs. Elle était première. Elle avait toujours été là.
La parole d’amour est antérieure à tout, même à l’amour.
Christian Bobin, in Le très-bas.
Françoise,
sœur de la Communion Béthanie