Une méditation sélectionnée par notre frère Pierre.
Toi qui m’a tant enrichie, mon Dieu, permets-moi aussi de donner à pleines mains. Ma vie s’est muée en un dialogue ininterrompu avec toi, mon Dieu, un long dialogue. Quand je me tiens dans un coin du camp, les pieds plantés dans la terre, les yeux levés vers ton ciel, j’ai parfois le visage inondé de larmes – unique exutoire de mon émotion intérieure et de ma gratitude. Le soir aussi, lorsque couchée dans mon lit, je me recueille en Toi, mon Dieu, des larmes de gratitude m’inonde parfois le visage et c’est cela, ma prière à moi.
Je suis très fatiguée depuis quelques jours mais cela passera comme le reste : tout progresse selon un rythme profond propre à chacun de nous et l’on devrait apprendre aux gens à écouter et respecter ce rythme ; c’est ce qu’un être humain peut apprendre de plus important en cette vie.
Je ne lutte pas avec Toi, mon Dieu, ma vie n’est qu’un long dialogue avec Toi. Il se peut que je ne devienne jamais la grande artiste que je voudrais être, car je suis trop bien abritée en Toi mon Dieu. Je voudrais parfois tracer à la pointe sèche de petits aphorismes et de petites histoires vibrantes d’émotion, mais le premier mot qui me vient à l’esprit, toujours le même, c’est : Dieu, et il contient tout et rend tout le reste inutile. Et toute mon énergie créatrice se convertit en dialogues intérieurs avec Toi ; la houle de mon cœur s’est faite plus large depuis que je suis ici, plus animée et plus paisible à la fois, et j’ai le sentiment que ma richesse intérieure s’accroît sans cesse.
18 août 1943, Les écrits d’Etty Hillesum, Journaux et lettres 1941-1943 (page 897).
C’est la toute dernière lettre d’Etty, écrite quelques jours avant son départ pour Auschwitz le 6 septembre 1943 (elle disparaîtra trois mois plus tard). Consciente du destin qui l’attend, Etty s’attache à regarder toujours plus loin et plus large pour voir ce qui pourrait advenir de beau. Elle demande à Dieu « de la prendre par la main » et s’engage « à le suivre bravement et sans beaucoup de résistance ». Etty se dispose ainsi à accueillir au mieux celles et ceux qu’elle rencontre, vivant au plus près le « sacrement du frère » qui donne sens à l’existence. Le jour de son départ en déportation, un de ses amis écrit : « Nous éprouvons un sentiment de perte, mais nous ne nous sentons pas les mains vides. Une amitié comme la sienne ne se perd pas ». Tout est dit.
Pierre,
frère de la Communion Béthanie