Méditation pour le temps de l’Avent proposée par Timothée de Rauglaudre.
Le premier mot qui me vient à l’esprit, en parcourant l’Évangile du jour, c’est celui de confiance. Une énième lecture de l’Annonciation pourrait susciter une certaine lassitude. Par rapport au passage qui suit directement cet épisode, la Visitation à sa cousine Élisabeth, qui montre une Marie en mouvement, dans l’action, avant d’entonner le chant de libération du Magnificat, celui qui m’a converti, la Marie recevant le message de l’ange Gabriel peut paraître passive. On nous a rebattu les oreilles du oui de Marie, seriné l’image d’une jeune fille un peu naïve et pieuse, qui ne saisit pas ce qui lui arrive mais accepte béatement sa condition. Quand on sait en plus que certaines exégèses féministes ont questionné le passage du Seigneur prenant Marie sous son ombre (Luc 1, 35) comme la possible allégorie d’un viol, le malaise peut s’additionner à la lassitude. La mère de Dieu, modèle premier de toutes les femmes chrétiennes, n’est-elle réduite à être qu’un réceptacle, fût-ce de la grâce divine ?
La foi, confiance active
Mais je lis aujourd’hui cette visite de l’archange avec une certaine tendresse. Dans cette Marie toute bouleversée, qui se [demande] ce que [peut] signifier cette salutation (Luc 1, 29), face à l’ange qui la qualifie de Comblée-de-grâce (Luc 1, 28), je me revois, assis sur les bancs de derrière, à mes premières messes, incapable de comprendre quoi que ce soit à la liturgie, aux prières eucharistiques, aux paroles des chants suivis en chœur par l’assemblée. Et pourtant, j’ai poursuivi mon chemin, sans me poser trop de questions, en me faisant simplement disponible à la découverte, à la surprise. J’ai appris à me dire intérieurement : Voici la servante du Seigneur ; que tout m’advienne selon ta parole (Luc 1, 38). À demander à Dieu, dans ma prière intime, de prendre les commandes de ma vie, d’en être le seul maître, de me conduire sur ses chemins d’éternité (Ps 138 (139)). Ai-je été une créature passive, cédant à la niaiserie comme un adolescent à l’aube d’une rencontre amoureuse ? Je ne le crois pas. Je crois que la foi, étymologiquement la confiance, est une grâce donnée en toute gratuité, mais que la recevoir, l’accueillir au cœur de son quotidien, d’autant plus à une époque où domine la rationalité instrumentale – la foi ne sert à rien -, est un acte tout à fait souverain, actif, conséquent.
L’effort surnaturel de l’espérance
Quand il y a la foi, l’espérance n’est jamais loin. Espérer, croire que rien n’est impossible à Dieu (Luc 1, 37), est encore un effort monumental, surnaturel même. Bref, tout cet accueil de la grâce divine n’a rien d’un processus passif, il demande beaucoup de forces, il peut même être épuisant. Croire dans la traversée des ténèbres à la vraie lumière (1 Jean 2, 8) est infiniment plus fatigant que se laisser aller au désespoir et à l’apathie. Mais dire cela est un peu facile quand on vit dans une situation plutôt privilégiée. À l’approche de Noël, je ne peux m’empêcher de penser aux chrétiens palestiniens qui s’apprêtent à célébrer la naissance du Sauveur dans l’angoisse des bombes et de la répression, à Gaza, à Bethléem ou à Jérusalem-Est. Comment peuvent-ils voir au-delà d’un horizon obscur comme jamais, et croire que rien n’est impossible à Dieu (Luc 1, 37) ? Comment peuvent-ils entrer dans la confiance ferme de Job, traversant le malheur sans jamais douter de la bonté de son Créateur ? Il n’y a pas de recette miracle. Une telle disposition du cœur, une telle ouverture à l’espérance relève véritablement d’un effort surnaturel. Mais une chose peut y aider. En comprenant qu’il n’y a pas deux Marie, celle de l’Annonciation et du Magnificat, celle qui s’ouvre à la grâce et celle qui proclame dans la joie que le Seigneur renverse les puissants de leurs trônes et élève les humbles (Luc 1, 52), mais bien une seule, en comprenant que l’accueil de la foi est aussi l’accueil de la promesse libératrice du Seigneur, on peut marcher à la suite de Marie et de sa foi révolutionnaire, et alors peut s’ouvrir un chemin qui ne connaît plus aucune limite.
Ce chant pour accompagner la méditation : Bonum est confidere de Taizé.
Timothée de Rauglaudre
Journaliste et auteur
Une méditation proposée par notre frère Manuel.
J’aime beaucoup le Magnificat, cette prière de louange prononcée par Marie dans l’évangile de Luc. En fait j’aime beaucoup la prière de louange : elle me dilate à l’intérieur, elle me fait me sentir bien, mais parfois je ne trouve pas quoi dire… Aussi parfois le doute m’assaille : à quoi bon dire à Dieu qu’il est beau, qu’il est grand ? Là, j’avoue, je me laisse piéger doublement : car je me place en termes d’utilité (est-il ajusté de lier prière et utilité ?) et en plus je me limite à ma bouche, à ce que je dis, éventuellement à ce que je ressens ; je ne vais donc pas au fond de moi, je ne vais pas au fond de cette rencontre qui est la prière. Alors ?
En effet, la grandeur de Dieu est ce qu’elle est, nous n’y pouvons rien ajouter. Mais ce que nous pouvons faire grandir en nous, c’est la connaissance que nous avons de lui, connaissance qui nous incite à le glorifier et à le magnifier, en particulier pour sa bienveillance et sa bonté à notre égard. Aussi la sainte mère de Jésus ne dit pas : Ma voix ou ma bouche exalte le Seigneur ; elle ne dit pas non plus : Ma main ou mes pensées ou ma raison ou ma volonté exaltent le Seigneur. Mon âme, c’est-à-dire mon être tout entier, toutes mes puissances et toutes mes facultés. Marie est, pour ainsi dire, perdue en Dieu.
Martin Luther, Commentaire au Magnificat.
Se perdre en Dieu… Cela me laisse songeur, et me ramène à la mémoire un poème de Thérèse d’Avila, où elle nous confie une parole reçue dans sa prière :
Âme, en Moi tu as à te chercher,
et en toi tu as à Me chercher.
La relation avec Dieu, comme toute relation sérieuse, nous prend les tripes, pour ainsi dire. Elle nous prend dans nos entièretés à tous les deux, dans tout l’être des deux partenaires, et pas uniquement dans le mental ou la sensibilité. Dieu a fait en Marie de grandes choses. Mais la plus grande, nous dit Marie elle-même, c’est qu’il ait jeté les yeux sur elle, car tout dépend et découle de cette grâce initiale. En effet quand Dieu se penche sur une âme et jette les yeux sur elle, c’est pour la sauver par pure bonté, et de ce premier bienfait dériveront tous les autres.
Martin Luther
Car lorsque Dieu nous regarde, il nous regarde en profondeur, et c’est en profondeur que nous pouvons consentir à son regard, consentir à tous ses bienfaits ; c’est ainsi que nous pouvons entonner notre propre Magnificat. Chantons-le, alors, et marchons mettre ces bienfaits au service de nos frères et sœurs ; eux aussi glorifieront le Seigneur.
Mt 5, 16
Manuel,
frère de la Communion Béthanie.